Une histoire simple, touchante, convenue et aux promesses inachevées : La Justice des hommes de Santiago H. Amigorena

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Julian Liurette

La couverture du livre La Justice des hommes

Critique de La Justice des hommes de Santiago H. Amigorena (P.O.L, 2023)

Toronto, 9 Mars 2025

C’est la première fois que je lis un livre de Santiago H. Amigorena. Je l’ai choisi au hasard lors d’une visite dans une bibliothèque publique de Toronto, curieux de découvrir son style. D’origine argentine, Amigorena écrit en français puisqu’il a grandi en France à partir de ses 11 ans. Son style, bien que classique, se distingue par des répétitions fréquentes au sein même des phrases, ce qui confère au texte une tonalité unique, parfois déroutante, voire un peu pédante. Cela dit, le livre reste facile à lire et à suivre. Ce n’est pas de la littérature hyper-complexe : l’intrigue est simple, les personnages sont peu nombreux, et j’ai terminé le livre en une semaine – un exploit pour moi ces temps-ci ! J’étais captivé par l’envie de savoir comment l’histoire se terminerait, mais aussi par la découverte d’un nouvel auteur. C’est une lecture agréable, ni très gaie, ni très triste, mais qui captive par sa simplicité.

L’histoire suit un jeune couple vivant dans la banlieue parisienne. Après une dispute, le père, Aurélien, prend ses enfants avec lui et les abandonne. Cet acte le conduit en prison, bouleversant la vie de sa famille, notamment celle de leur petite fille, qui perd la parole. En regardant des interviews de Santiago Amigorena, j’ai découvert un auteur dans la soixantaine, ayant écrit de nombreux livres autobiographiques explorant souvent le thème du silence. Cela explique sans doute pourquoi la petite fille et même le père, après son incarcération, deviennent silencieux chacun à leur manière. Le livre est traversé par le thème du silence : on suit les pensées intérieures d’Aurélien, qui tourne en rond dans sa tête, incapable de trouver des réponses claires.

Dos de couverture du livre La Justice des hommes

L’histoire se déroule de nos jours et met en scène ce qu’on pourrait appeler un « drame entre blancs ». Les personnages secondaires, un peu louches mais honnêtes, sont d’origine maghrébine, tandis que les protagonistes viennent de milieux relativement aisés. Cependant, le livre manque de détails sur le passé des personnages, ce qui aurait permis de mieux comprendre pourquoi Aurélien est si profondément transformé par son séjour en prison. On ne sait pas ce qu’il y a vécu, et l’auteur semble considérer ce changement comme une évidence, en s’appuyant sur le cliché selon lequel la prison brise les gens. Cela dit, il aurait été plus puissant d’explorer les raisons spécifiques de cette transformation, surtout après dix mois d’incarcération.

L’histoire est touchante à certains moments, notamment lorsque les enfants sont au cœur de l’action, mais elle reste assez conventionnelle. Les personnages sont banals, et l’intrigue repose sur un malentendu. Je regrette que l’élément déclencheur – le fait que le père ne supporte pas d’être trompé par sa femme – ne soit pas davantage développé. Le livre se concentre principalement sur les conséquences de l’abandon des enfants et de l’emprisonnement d’Aurélien, mais il néglige l’insatisfaction de la mère, qui est pourtant à l’origine de toute cette chaîne d’événements.

La fin du livre est un peu déconcertante. Dans le dernier chapitre, l’auteur intervient soudainement pour expliquer que, bien que ce soit une fiction, il a vécu des expériences similaires. Cette intrusion narrative, bien qu’originale, ne semble pas nécessaire et n’apporte pas grand-chose à l’histoire.

Plus globalement, La Justice des hommes est un livre qui explore l’individualisme. Les personnages sont peu nombreux, chacun enfermé dans sa propre bulle, et les interactions entre eux sont souvent motivées par l’intérêt personnel.

L’auteur utilise un narrateur omniscient, qui sait tout et dirige tout, mais j’aurais parfois préféré moins de détails venant du narrateur et plus de scènes permettant de mieux connaître les personnages. Amigorena a également recours à des descriptions de rêves et de cauchemars, ce qui, bien qu’intéressant, semble parfois superflu. En effet, dans les règles d’écriture, on dit souvent que les rêves n’avancent pas l’histoire, car ils ne reflètent pas la réalité. Ces passages m’ont parfois fait penser à du « remplissage » pour atteindre un nombre de pages acceptable. Avec environ 70 000 mots, c’est un livre relativement court, comparable à 1984 de George Orwell, bien que ce dernier soit un peu plus long.

En conclusion, c’est une lecture agréable, mais qui laisse un sentiment mitigé. Je serais curieux de connaître l’avis des critiques professionnels sur ce roman.

Une dernière remarque : le titre, La Justice des hommes, avec un « J » majuscule à « Justice », m’interroge. Le titre aurait été tout aussi puissant sans le J majuscule, l’accentuer de la sorte, c’est un peu pointer du doigt comme si le lecteur ne saisissait pas qu’il ne s’agit pas nécessairement de justice au sens juridique.

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