Toutes les vies de Théo : Nathalie Azoulay entre deux mondes, dichotomie sans fracas

Image de Julian Liurette

Julian Liurette

Couverture du livre Toutes les vies de Théo de Nathalie Azoulay

Publié en 2025 chez POL Éditeur, Toutes les vies de Théo est un roman de Nathalie Azoulay (que je découvre), d’environ 250 pages, qui s’inscrit dans la même collection que Triste Tigre de Neige Sinno et La Justice des hommes de Santiago Amigorena. Le livre, d’une lecture aisée, adopte une structure particulière : de courts chapitres, regroupés en quatre parties, sans qu’on saisisse bien la nécessité de cette division, rendant l’ensemble fluide mais laissant aussi un certain goût d’inachevé.

L’histoire suit Théo, un jeune homme non juif fasciné depuis l’enfance par la culture juive, une fascination héritée en partie du passé allemand de sa mère, marquée par la mémoire de la Shoah. Théo rencontre Léa, une jeune femme juive, avec qui il construit une vie pendant une trentaine d’années. Ensemble, ils traversent les évolutions de leur milieu, leurs réflexions sur Israël, les tensions entre juifs et arabes exacerbées après les attentats d’octobre 2023. Si ces thématiques sont actuelles et puissantes, Azoulay reste neutre. Les débats typiques prennent place, sans jamais rien amener de vraiment neuf pour qui s’intéresse un tant soit peu à l’actualité.

La deuxième partie du roman bascule lorsque Théo quitte Léa pour Maya, une jeune artiste libanaise de 25 ans. Avec Maya, Théo explore l’autre « camp », et le roman tente d’illustrer l’ambiguïté des appartenances et des fidélités culturelles. Maya, peintre en plein succès, expose des œuvres inspirées des conflits israélo-palestiniens. L’écriture visuelle de Nathalie Azoulay, notamment dans la description des tableaux, est précise et évocatrice. Maya, par exemple, peint une toile du monde où certains pays ont été effacés. Toutefois, décrire des œuvres imaginaires dans un roman reste un procédé discutable : sans image réelle à contempler, il est difficile d’adhérer pleinement à l’idée de leur impact exceptionnel.

Le roman repose sur l’idée de Théo que la vie se joue en quatre ou cinq grandes décisions. Pourquoi pas ? Mais je m’attendais à beaucoup plus de vies différentes avec un titre pareil. L’itinéraire de Théo, entre deux femmes, deux cultures, deux héritages, paraît parfois un peu mécanique, comme si l’autrice avait voulu trop bien équilibrer son propos. Certes, le livre se concentre dans la deuxième partie davantage sur le point de vue du monde arabe, mais à la fin, la neutralité revient. Théo a non seulement eu une fille avec sa première femme, qui se convertit au catholicisme, mais aussi une autre fille avec Maya, qui grandira hors de toute tradition juive. Ce double mouvement de perte et de renouveau vient presque clore les différentes « vies » de Théo, jusqu’à un bref épilogue qui le mène de nouveau vers une nouvelle vie.

Au final, Toutes les vies de Théo est un roman bien écrit, intrigant, mais sans plus. Il survole des enjeux graves et actuels sans vraiment s’y ancrer. La plume de Nathalie Azoulay est élégante, elle utilise un vocabulaire original, et certaines de ses tournures de phrases sont particulières, comme au bas de la page 237 : « …cet art qu’elle avait de se déplier dans l’élan d’une apparition ». Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais c’est joliment écrit. Ses personnages sont plus ou moins crédibles, mais l’ensemble reste léger, didactique et prudent. C’est un sujet explosif qu’elle traite avec le tact d’une diplomate. Une découverte intéressante, sans être marquante.

Lu fin avril 2025 à Toronto. Livre emprunté à la Bibliothèque publique de Toronto.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

On Key

Related Posts

Contact Us

Contactez-nous